4 questions à Vincent Delecroix

21/03/2018

À l'occasion de la parution de Non ! le 18 avril en librairie, Vincent Delecroix répond à nos questions...

  • Vous êtes à la fois chercheur en philosophie et romancier : quels liens ou quelles distinctions faites-vous entre votre œuvre littéraire et philosophique ?

On marche avec ses deux jambes : littérature et philosophie sont mes deux jambes. Lorsque j’ai commencé, mon intention était d’établir une barrière étanche entre les deux genres d’écriture, quitte par exemple à transformer des figures philosophiques en matériaux littéraires. Mais les liens entre les deux sont devenus de plus en plus organiques : ce qui ne signifie évidemment pas que j’écris des romans didactiques, mais que les livres se répondent les uns les autres, tracent une espèce de constellation.

  • On définit scolairement la philosophie par la capacité à s’étonner. Or l’originalité de
    Non !, c’est de la faire naître d’un sentiment d’injustice face au monde. Diriez-vous que la philosophie cherche l’engagement plutôt que des explications ?

Si la philosophie n’était qu’issue de l’étonnement, ce fameux thaumazein des Grecs, on ne verrait pas très bien en quoi elle diffèrerait des sciences de la nature. L’idée qu’elle s’enracine dans un sentiment d’exaspération ou de scandale, d’une incompréhension éthique et pas seulement technique ou scientifique, n’abolit pas ses prétentions à expliquer, ou plutôt à comprendre. Mais elle la place aux antipodes d’une science désintéressée et lie le questionnement philosophique à une urgence existentielle. L’exaspération nous pousse à comprendre. Inversement, les prétentions au désengagement et à l’objectivité sont mauvais signe : le signe d’une raison qui ne vise qu’à décrire, qui se soumet à ce qui est.

  • Non ! s’appuie autant sur des figures mythiques et littéraires que sur l’actualité la plus brûlante, des migrants aux attentats de 2015, en passant par le consentement. Traitez-vous différemment ces différentes « matières à penser » ?

Le secret de l’investigation philosophique, c’est que le discours tâche d’épouser les contours spécifiques de son objet, la nature de sa matière, pour produire à chaque fois une langue particulière qui puisse le saisir. Mais c’est pour penser notre condition actuelle, qui est faite d’épaisseur historique autant que d’événements contemporains, de références artistiques autant que de sensibilité immédiate, de souvenirs, de passions, d’histoires drôles. C’est à cette diversité dont notre existence est constituée que je suis sensible.

  • L’ironie occupe une place importante dans votre travail : vous en avez fait l’éloge dans un bref essai (Gallimard, 2010) et elle traverse vos romans. Comment liez-vous ici l’ironie et le refus ?

L’ironie possède à mes yeux une grande valeur que cependant je ne voudrais pas hypertrophier, tant elle est ambivalente. Ce n’est pas une solution. C’est parfois mortifère, ridicule – ou tout simplement abject. Ce que réclame l’ironie, c’est un usage différencié, attentif, fin. En ce cas, elle est effectivement salutaire. C’est le premier mouvement de l’esprit rétif, et il a le don de contester subtilement, de défaire de l’intérieur les affirmations dogmatiques et les positions d’autorité. Se soustraire, retirer le tapis sous les pieds du prétentieux ou du tyran, agacer, plonger dans le trouble interrogatif, sans faire que cette opposition ne devienne à son tour une position dogmatique : cela me paraît non négligeable pour la vie de l’esprit – et pour la vie tout court.

Vincent Delecroix
Photo : Philippe Matsas © Flammarion

Né à Lille en 1969, Vincent Delecroix est philosophe et écrivain. Il est directeur d’études en philosophie de la religion à l’École
pratique des hautes études et a écrit de nombreux romans, dont Tombeau d’Achille (Gallimard, 2008), Grand Prix de littérature
de l’Académie française. Il est aussi l’auteur, entre autres, de Chanter (Flammarion, 2012) et d'Apocalypse du politique
(Desclée de Brouwer, 2016).

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